Archives mensuelles : février 2018

Bluebird

© Julien Piffaut.

Texte de Simon Stephens, traduit par Séverine Magois – mise en scène Claire Devers – au Théâtre du Rond-Point.

Chauffeur de taxi, Jimmy conduit sa Nissan Bluebird dans la nuit anglaise. La voiture est sur scène, entourée d’images mobiles, vastes travellings qui donnent l’illusion de la route et de la ville. Les clients défilent les uns après les autres, chacun avec ses spécificités, ses exigences et ses surprises. Jimmy (Philippe Torreton) est un homme singulier et secret, on ne le voit que de de loin, accroché à son taxi, observant ces allées et venues. De temps en temps il prend son téléphone et cherche à joindre une certaine Clare, souvent sans retour.

Dans la seconde partie, Jimmy et Clare (Julie-Anne Roth) se font face, dans une sorte de no man’s land, à deux pas d’une maison que tous deux connaissent. Jimmy a lâché sa Bluebird, elle, a accepté la rencontre et se présente pâle et tendue. Au début, questionné par l’autre, chacun parle de soi, les mots sont cachés et elliptiques. Clare dit avoir un compagnon et trouvé, si ce n’est du bonheur, un certain équilibre, elle annonce attendre un enfant. Jimmy avoue que la vie s’est suspendue depuis l’accident, il y a cinq ans, et qu’il vagabonde sans port ni attache, son taxi pour demeure.

La suite fige le spectateur, le fil du temps se remonte et leur histoire se reconstruit, avec douleur. Jimmy et Clare étaient mariés et avaient une petite fille. Leur rencontre a lieu le jour anniversaire de sa disparition, il y a cinq ans, écrasée par la voiture de son père. Depuis l’accident, Jimmy a disparu sans donner de nouvelles et vit accroché à son taxi comme un naufragé à sa bouée, il n’a pu assumer. Clare et Jimmy ne s’étaient pas revus, cette maison était leur maison. Clare lui reproche cet abandon, et exprime l’extrême solitude dans laquelle elle a dû tout régler, avant même de supporter la vie sans l’enfant. Pour Jimmy la rencontre est une déchirante tentative de réparation, il ne vient pas les mains vides et offre à Clare une partie de sa vie, de ses gains. Il tente le pardon, par ce don, concret autant que symbolique.

Bluebird a une grande force dramatique. Simon Stephens qui s’intéresse aux parcours blessés, l’écrit en 1998. Auteur associé au Royal Court de Londres, il a écrit de nombreuses pièces souvent distinguées par des prix prestigieux. Il avait adapté en 2011 pour Patrice Chéreau, la pièce de Jon Fosse, Je suis le vent. Dans Bluebird ses personnages sont d’une incandescence qui ajoute au tragique : l’extraordinaire interprétation de Philippe Torreton en Jimmy, si humain, avec ses faiblesses et son charisme, spectateur de la/de sa vie en première partie, blessé à mort et se mettant à nu dans la seconde ; la retenue et la pudeur de Julie-Anne Roth en Clare qui joue la transparence malgré la souffrance, sont un grand moment de théâtre.

Claire Devers, la maître d’œuvre de la pièce – réalisatrice de cinéma ayant obtenu la Caméra d’or en 1986, pour son film Noir et Blanc – signe avec Bluebird sa première mise en scène au théâtre. Elle réussit magnifiquement sa première fois en transcendant l’humanisme de l’auteur par une théâtralité qui se dégage de la scénographie et des images autant que des acteurs qui impriment à la pièce une puissante émotion.

Brigitte Rémer, le 25 février 2018

Avec Baptiste Dezerces (le Caïd, Billy Lee) – Serge Larivière (Robert, Richard, Andy) – Marie Rémond (Angela, une adolescente, Janine) – Julie-Anne Roth (Clare) – Philippe Torreton (Jimmy). Assistanat à la mise en scène et photographies Julie Peigné – scénographie Emmanuel Clolus – lumières Thomas Cottereau, Olivier Oudiou – son François Leymarie – vidéo Yann Philippe, Renaud Rubiano – régie générale et plateau Guillaume Parra – régie vidéo et son Guillaume Monard – régie lumière Sébastien Lemarchand – costumes Fanny Brouste – maquillage Marion Bidaud. Le spectacle a été créé à l’Espace des Arts, Scène Nationale de Châlons-sur-Saône, le 16 janvier 2018.

Du 7 février au 4 mars 2018 – Théâtre du Rond-Point/salle Tardieu, 2 bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 – métro : Franklin Roosevelt, Champs-Elysées Clémenceau – Tél. : 01 44 95 98 21 – Site : www.theatredurondpoint.fr

Le dur désir de durer : après-demain, demain sera hier

© Fanny Gonin

Conception, mise en scène et scénographie Igor et Lily – Textes Guillaume Durieux – Théâtre Dromesko. Espace chapiteau, Le Monfort Théâtre, dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville.

Créé en 1990 par Igor et Lily son épouse, le Théâtre Dromesko, anciennement Volière, est un lieu de fabrique qui a posé son chapiteau avec veaux, vaches, cochons et couvées depuis une vingtaine d’années, à la Ferme du Haut Bois près de Rennes, sous l’aile du Théâtre National de Bretagne. Au fil des ans ils y ont développé un travail singulier et exigeant.

Le dur désir de durer – après-demain, demain sera hier fait suite à Le Jour du Grand Jour présenté en 2016 et parle du temps qui passe, de la vie et de la mort. Dans le même dispositif au plancher de bois, nommé La Baraque, et avec les mêmes personnages, acteurs, chanteurs et musiciens passent et traversent de cour à jardin, comme on traverse la vie, ou comme un défilé, une procession ou une manif. Les spectateurs se font face. « On pourrait parler d’une suite. Ou plutôt d’une suite en avant, une grande panique face aux lendemains qui déchantent, avec dans le dos les rengaines du passé et sous les pieds le vertige d’être encore là aujourd’hui » écrit Igor. Une suite de séquences montre des personnages baroques et des situations inventives, pleines d’autodérision.

Un petit homme à la Sempé essaye de dire quelque chose mais en vain, poussé par la foule. Trois jeunes femmes font des roulés boulés dans leurs robes printanières. Une vierge maquillée et décorée à outrance, portée comme un Saint-Sacrement par un mille pattes (quatre danseurs, acrobates à quatre pieds – cherchez l’erreur – cachés sous un dais).  On voit passer des lits d’hôpital à vitesse grand V accompagnés de quelques répliques des Bonnes de Jean Genêt. Des personnes passent et repassent pour aller à un enterrement, chacun avec sa compulsivité. Un torero mi-homme mi-taureau avec une corne au front et une queue de taureau, aiguise sa faux, image de la camarde s’il en est. Une chanteuse de flamenco joue la Bianca Castafiore. Une tornade de vent contredit la marche d’un groupe de personnes qui tentent d’avancer, se cramponnent et s’envolent. Deux vieux acteurs saluent une dernière fois le public, on les voit de dos, ô surprise, fesses à l’air, en une séquence pathétique et cruelle. On est dans les représentations de la mort à la mexicaine, avec gaieté et dérision.

Chez les Dromesko rien n’est gris, l’humour et la poésie l’emportent. Du côté des animaux, on y trouve un chien, sorte de minotaure affublé de cornes et un ardeidae de la famille des marabouts qui fait des figures et déploie ses ailes magnifiquement, en duo avec la duègne, toute de noir vêtue comme il se doit. Et du côté de la musique se côtoient plusieurs univers, des instruments baroques du début du spectacle connotant les peintures de Dominikos Theotokopoulos dit Le Greco, au Requiem de Mozart, passant par le violoncelle et l’accordéon, tout s’accorde et se désaccorde en relation avec les images. A la toute fin, le violoncelliste dans une chaise à bras et à trois roues d’avant-guerre pour paralytique, poussé par l’accordéoniste, rejoignent l’enterrement d’un jeune homme, pure mystification et tour de magie. Ils invitent en réalité le public à les rejoindre sur le plateau, boire un verre de vin.  Le corps fait place au vin. Buvez et mangez.

Il y a beaucoup de clins d’œil et de références dans un spectacle bon enfant même s’il parle de mort, sujet tabou s’il en est. Les ombres décalées sur les deux cloisons de bois de cour et de jardin amplifient l’aspect à la fois spectral et bon vivant et la puissance dramatique des séquences n’enlève rien à la bonne humeur et à la convivialité qui sont, une fois encore, au rendez-vous.

Brigitte Rémer, le 23 février 2018

Jeu/danse : Lily, Igor, Guillaume Durieux, Florent Hamon, Olivier Gauducheau, Zina Gonin-Lavina, Revaz Matchabeli, Violeta Todo-Gonzalez, Jeanne Vallauri – interprétation musicale Revaz Matchabeli (violoncelle), Lily (chant), Igor (accordéon) – construction décor Philippe Cottais – costumes Cissou Winling – création et régie lumières Fanny Gonin – création son Philippe Tivilliers – régie son Morgan Romagny – régie plateau Olivier Gauducheau.

Du 23 janvier au 17 février 2018 – Le Monfort, Espace Chapiteau – 106 rue Brancion, 75015. Tél. : 01 56 08 33 88 – Site : www.lemonfort.fr – En tournée du 22 au 26 mai 2018 à la Scène nationale de Sète.

Une Adoration

© Simon Gosselin

Texte de Nancy Huston – Adaptation et mise en scène Laurent Hatat – au Théâtre de la Tempête/Cartoucherie de Vincennes.

Auteure d’expression anglaise et française née au Canada où elle passe son enfance, Nancy Huston a écrit des essais et de nombreux romans, d’une sensibilité très particulière. Le premier, Les Variations Goldberg, date de 1981. Une Adoration, est publié en 2003 et parle de l’absence, sujet particulièrement aigu pour elle dont la mère a déserté le foyer familial quand elle avait six ans.

On est au cœur d’un conseil de famille informel où l’absent, Cosmo, acteur et amant de la mère, tient le rôle principal. Cosmo a été assassiné, ce qui donne une version polar à l’affaire, on saura à la toute fin, par qui. Ce texte est une ode à l’amour, portée par une femme, Elke (Océane Mozas), qui rend des comptes face à ses enfants. Ils ne lui en demandaient pas tant et restent blessés : Franck, le fils, (Yann Lesvenan) très en colère, n’appréciait pas ce beau-père et s’oppose à sa mère. Fiona, la fille, (Jeanne Lazar) est tiraillée dans sa fragilité. D’autres parlent de lui par des images qui se projettent, personnages qui glissent comme des noyés, sur la verrière recouvrant le lieu du psychodrame, une belle idée scénographique (Laurent Hatat et Nicolas Tourte). Une inconnue passe (Emma Gustafsson), à plusieurs reprises, qui pourrait représenter la mémoire, ou la mort. Ces différents témoignages donnent un portrait en creux de l’absent et héros sublimé, vérité ou fantasme, le puzzle se reconstitue.

« Les histoires, elles seules sont susceptibles de transformer en destinée le chaos de notre existence. Nous sommes tous des romans ambulants, foisonnant de personnages principaux et secondaires, ponctués par des ellipses, des moments de suspens et de drame, de longues descriptions ennuyeuses, des apogées et des dénouements. Tu me racontes ton histoire et je te raconte la mienne, ton histoire fait désormais partie de la mienne » écrit Nancy Huston. On a la sensation de suivre une partie d’échecs où la parole tient lieu de silence. Car la parole est dense dans cet huis-clos où le public est voyeur en même temps qu’enquêteur.

Face à ce jeu de la vérité qui fait office de thérapie familiale, les acteurs s’efforcent de jouer leur personnage : Elke est en état de sidération, Fiona se montre tantôt tendre tantôt butée, Franck est dans les reproches et provoque son rival en duel, de façon posthume. Laurent Hatat signe l’adaptation et la mise en scène du spectacle qui convainc à demi, est-ce le texte en ses contradictions auquel on a du mal à croire ou les acteurs un peu trop démonstratifs ? Le metteur en scène dans ses différents travaux, s’est entre autres confronté à Lagarce, Vinaver, Kristof et Marivaux. Adapter un roman pour le théâtre n’est jamais simple et parler de l’absence l’est encore moins. « Car l’univers frissonne et miroite sans cesse, vous le savez n’est-ce pas ?
Sous l’effet des événements du passé grand et petit… Tout est là, diffus et intangible, mais là, dans l’air autour de nous, comprenez- vous ? » dit Elke, entre retenue et impudeur. Dans Une Adoration « les feuilles mortes se ramassent à la pelle » et les personnages échappent, Cosmo en tête. Est-ce le propre de l’absence ?

Brigitte Rémer, le 19 février 2018

Avec : Océane Mozas Elke – Emma Gustafsson La femme inconnue – Jeanne Lazar Fiona – Yann Lesvenan Franck. Scénographie Laurent Hatat et Nicolas Tourte – collaboration dramaturgique Laurent Caillon – lumières Anna Sauvage – costumes Martha Romero – image Nicolas Tourte – espace sonore Antoine Reibre -
assistante à la mise en scène Clara Benoit Casanova. A l’image Olivier Balazuc, Azzedine Benamara, Clara Benoit-Casanova, Laurent Caillon, Sylvie Debrun, Daniel Delabesse.

Du 19 janvier au 18 février 2018 – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manœuvre, 75012 – métro : Château de Vincennes puis navette – téléphone : 01 43 28 36 36 – site : www.la-tempete.fr – Le texte est publié aux éditions Actes Sud.

Quills

© Stéphane Bourgeois

Texte de Doug Wright – traduction Jean-Pierre Cloutier – mise en scène et espace scénique Jean Pierre Cloutier et Robert Lepage – Ex Machina production – au Théâtre National de la Colline.

Né en 1962 à Dallas (Texas), librettiste, auteur de théâtre et de scénarios, Doug Wright écrit principalement des comédies musicales et des téléfilms pour la télévision. Sa pièce Quills fut créée en 1995 à Washington puis jouée off Broadway au New York Theatre Workshop. Elle traite de l’internement du Marquis de Sade à Charenton les dernières années de sa vie. L’auteur en a aussi écrit le scénario pour le film Quills, La Plume et le Sang qu’a réalisé Philip Kaufman, en 2000.

Robert Lepage, metteur en scène québécois connu en France pour ses propositions théâtrales multiformes, du jeu d’acteur le plus créatif – La Trilogie des Dragons – aux spectacles de haute technologie – Les Aiguilles et l’Opium – s’empare du texte, accompagné de Jean-Pierre Cloutier, artiste de cirque à l’origine. Lepage interprète Sade : Donatien Alphonse François de Sade, né le 2 juin 1740 à Paris et mort le 2 décembre 1814 à l’Asile de Charenton/Saint-Maurice où il passe les onze dernières années de sa vie. Il avait connu Vincennes et la Bastille pendant la Révolution, puis avait été interné sans jugement et de façon arbitraire à partir de 1801, à la prison de Bicêtre notamment. L’abbé de Coulmier, directeur de l’établissement, un réformateur bienveillant avec qui il sympathise, lui aménage un statut particulier et très protégé, Madame de Sade y veille particulièrement. Il croit aux vertus thérapeutiques du spectacle et fait construire à l’intérieur de l’asile un véritable théâtre destiné à recevoir une cinquantaine de malades mentaux. Sade devient le grand ordonnateur des fêtes, compose des pièces et en dirige les répétitions, Charenton défraie la chronique. Sa conduite lubrique et provocatrice face aux personnels et aux autorités et la diffusion de sa littérature sulfureuse, inquiètent l’Empereur Napoléon Ier qui ne veut ébranler les fondements moraux de la société. Il nomme à Charenton un médecin-chef, le docteur Royer-Collard pour mettre fin à la circulation des idées libertines et imposer le silence. C’est mal connaître le brillant Marquis, prolixe à souhait, et très connu depuis la publication de Justine ou les malheurs de la vertu qui avait scandalisé. A Charenton, quand on lui retire papier et crayon, Sade importe ses fantasmes et désirs immoraux sur les murs et les vêtements, sur tous les supports possibles trouvés dans ses appartements et avec toutes encres ou substituts, allant du sang aux excréments.

La pièce croise le destin du véritable Marquis de Sade mais sa construction a quelque chose de linéaire avec son unité de temps, de lieu et d’action. Robert Lepage et Jean-Claude Cloutier l’inscrivent eux-aussi dans un cadre quasi néo-classique, sauf au final dans la scène sacrilège mais tardive, quand tout se déstructure et que la mort approche. La scénographie est inventive, comme toujours chez Lepage et sert magnifiquement le propos. Elle est basée sur un jeu de miroirs pivotants, sorte de kaléidoscope qui travaille sur le dédoublement à l’infini du personnage, renvoie à son narcissisme et à ses multiples facettes. Elle a un effet labyrinthe où l’on se perd et joue parfois de transparence, façon miroirs sans tain. On ne décolle pourtant pas dans ces paradis artificiels surannés au style de jeu légèrement distant et désuet, où la distance de l’ironie qui affleure à de nombreux moments ne rattrape pas l’ensemble. Lepage lui-même, bien emperruqué, s’efforce à traduire la démence libertine du personnage qu’il interprète mais le spectacle est long pour arriver à la mise en croix licencieuse, sublimement réalisée par le jeu diabolique des miroirs psychanalytiques.

Écrite dans le contexte du retour d’un certain conservatisme aux États-Unis dans les années 1990, Quills – qui signifie la plume d’oie – réfléchit aux limites posées par la société et évoque la question de la censure. Taraudé par la diffusion de son œuvre, Sade s’inscrit dans la surenchère, devient inatteignable et hors-limites. De victime d’un système répressif, il se transforme lui-même sur scène en un monstre de débauche. Robert Lepage interprète cette déchéance avec précision, entouré du monde pieux de l’encadrement de l’Asile et des personnels qui, comme Madeleine la blanchisseuse, vaquent, et qu’il harcèle. On est à l’extrême de l’obscénité d’un homme qui se joue de tout et qui le fait savoir par ses écrits, il n’est plus que subversion. « L’enfer lui-même est le creuset où j’ai forgé mon arme » clame-t-il dans ses propos provocateurs. Il finit nu comme un ver et dépouillé de toute identité dans la pure expression de ses fantasmes. Pour lui, la tentation est permanente et pour le spectateur, l’illusion est théâtralité.

Brigitte Rémer, le 17 février 2018

Avec : Pierre-Yves Cardinal, Érika Gagnon, Pierre-Olivier Grondin, Pierre Lebeau, Robert Lepage, Mary Lee Picknell – assistante à la mise en scène Adèle Saint-Amand – lumières Lucie Bazzo -environnement sonore Antoine Bédard – costumes Sébastien Dionne – collaboration à la scénographie Christian Fontaine – accessoires Sylvie Courbron – perruques Richard Hansen –  maquillages Gabrielle Brulotte – Le spectacle a été créé le 12 janvier 2016 au Trident, à Québec.

Du 6 au 18 février 2018 – Théâtre National de la Colline, du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30 – 15 rue Malte-Brun. 75020. Métro : Gambetta. Site : www.colline.fr – spectacle à partir de 16 ans.

 

Peer Gynt

@ Gaëlle Simon

D’après Henrik Ibsen – Adaptation et mise en scène Irina Brook – poèmes Sam Shepard – chansons Iggy Pop – création musicale collective d’après Edward Grieg – Spectacle en anglais, surtitré en français.

Dès l’entrée dans le théâtre on est immergé dans une ambiance musicale, une sorte de fête populaire pour noces et banquets. Pendant que le public s’installe les musiciens commencent à arriver de leur côté, détendus, ils prennent un verre et discutent entre eux. On se croirait dans les coulisses. Petit à petit ils commencent à dévoiler leurs instruments et à s’échauffer, avant de se fondre dans le spectacle où ils seront acteurs en même temps qu’instrumentistes. Violon, saxophone, guitare, basse, contrebasse, clarinette, trompette, batterie et percussions traversent la pièce, qui débute avec la petite flamme de celle qui sera la cristalline Solveig puis Démon vert chez les Trolls, la talentueuse et ravissante Shantala Shivalingappa. Peer Gynt est tout aussi magique, le grand acteur islandais Ingvar Sigurdsson, plein de charme et de roublardise, mène cet opéra-rock de main de maître, les acteurs sont de tous les pays. Les chansons d’Iggy Pop se mêlant au texte, la figure de Peer se superpose à celle de la rock star, pour notre plus grand plaisir. Le pays des Trolls, ce lieu de mythologie nordique populaire, aurait sa place dans les salles de concert rock telles que le Palace ou la Cigale. Irina Brook imaginait David Bowie en maître des lieux.  Peer Gynt vend son âme aux djinns pour épouser la fille du roi Troll, il lui est demandé de renoncer à sa condition d’homme, alors à toute vitesse il s’enfuit mais ne cessera d’être poursuivi. Des poèmes de Sam Shepard complètent la partition.

Formée au jeu à New York dans les années 1980 selon la méthode de l’Actor’s Studio, Irina Brook est comédienne avant de se consacrer à la mise en scène. Elle obtient en 2001 le Molière de la meilleure mise en scène pour Une bête sur la lune de Richard Kalinoski, puis monte Marivaux, Shakespeare, Brecht et Tennessee Williams. Passionnée de musique, elle réalise plusieurs mises en scène pour l’opéra. Depuis janvier 2014 elle dirige le Centre dramatique national de Nice-Côte d’Azur. Elle donne ici, dans le cadre du théâtre des Bouffes du Nord qui lui va si bien, sa libre interprétation de la pièce d’Ibsen, dense, belle, et aussi énigmatique que l’âme humaine et derrière la fable, pose la question existentielle et philosophique de la recherche de soi. Peer, au seuil de sa vie, fait le bilan : Qu’ai-je fait de ma vie ? Elle cite en référence Antoine Vitez qui s’exprimait sur la pièce : « Échapper aux simulacres, aux représentations, s’arracher au théâtre que l’on se fait de sa propre vie, aux rôles (…)  tout ce qui nous fait tant rêver depuis notre enfance, dépouiller tout cela, déposer à terre les vêtements imaginaires et courir nu. » La metteure en scène s’est appropriée Peer Gynt sans trahison, l’esprit y est bien, avec sa fronde et sa liberté de ton, l’insolence et l’affabulation. Les écarts d’avec la pièce restent anecdotiques, elle fait ses arrangements, au sens musical du terme et pose un point de vue sur le monde d’aujourd’hui.

C’est une année de Peer Gynt, David Bobée vient d’en présenter une intéressante lecture de son côté (cf. notre article du 14 février). Irina Brook propose la sienne, féérique et musicale en diable : la neige sur le plateau appelle la Norvège, l’errance de Peer Gynt et l’espérance de Solveig sont porteurs d’une grande poétique, les costumes et les masques, quelques pétales de fleurs donnent l’esprit de la fête et de la magie, une magnifique toile peinte en fond de scène, réalisée d’après le tableau Glad day par William Blake, largue les amarres à la toute fin du spectacle et l’on flotte entre réel et imaginaire, rêve et réalité. Une vision d’apocalypse dans le cœur et la quête d’un homme.

Brigitte Rémer, le 16 février 2018

Avec : Helene Arntzen, Frøydis Arntzen Dale, Diego Asensio, Jerry Di Giacomo, Scott Koehler, Mireille Maalouf, Roméo Monteiro, Damien Petit, Margherita Pupulin, Pascal Reva, Augustin Ruhabura, Gen Shimaoka, Shantala Shivalingappa, Ingvar Sigurdsson – Poèmes Sam Shepard – chansons Iggy Pop – chorégraphie Pascale Chevroton – scénographie Noëlle Ginefri – costumes Magali Castellan assistée d’Irène Bernaud – masques Cécile Kretschmar assistée de Sarah Dureuil – lumière Alexandre Toscani – assistant à la mise en scène Angelo Nonelli.

Du jeudi 8 au dimanche 18 février 2018, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis Bd de la Chapelle, 75010 Paris  – métro : La Chapelle – tél. : 01 46 07 34 50  – site : www.bouffesdunord.com – En tournée :  le 6 mars 2018, Scène nationale, Narbonne – les 9 et 10 mars 2018 Théâtre Saint Louis, Pau – le 13 mars 2018 Théâtre Jean Vilar, Saint Quentin dans l’Aisne – les 19 et 20 mars 2018 la Coursive, La Rochelle – les 22 et 23 mars 2018 Théâtre Angoulême, scène nationale – les 27 et 28 mars 2018 L’Apostrophe, Cergy-Pontoise – Le spectacle fut créé au Festival de Salzbourg en juillet 2012, en France au Théâtre National de Nice-CDN Nice Côte d’Azur en septembre 2014.

Peer Gynt

© Arnaud Bertereau

Texte Henrik Ibsen – Traduction François Regnault – Adaptation et mise en scène David Bobée/CDN Normandie-Rouen – Créé en janvier 2018 au Grand T de Nantes.

Ce poème dramatique norvégien en cinq actes d’Ibsen, publié en 1867 et représenté pour la première fois à Oslo en 1876, contient pas moins d’une cinquantaine de personnages. C’est dire la difficulté de le monter et la nécessité de l’élaguer. Au début de la pièce, Peer Gynt est un tout jeune homme, il nous mène, dans ses errances, jusqu’à la vieillesse et la solitude absolue. Fou de liberté, il parcourt le monde et le défie, taille sa vie fantasmée à coups de mensonges et de rêves, rate ce qu’il entreprend. Sa course folle tient de la fuite et du parcours initiatique et la chute n’est jamais loin de l’envol, dans sa quête d’identité il tient de l’albatros. Ceux qui le croisent n’en sortent pas indemnes : il perturbe la fête au village, viole la mariée, s’enfuit, séduit la fille du roi des montagnes qui l’entraîne dans le monde des trolls, leur vend son âme puis tente de se désister, s’enfuit à nouveau.

Derrière ses vagabondages qui célèbrent la vie, deux femmes illuminent son parcours : Ase, sa mère, avec laquelle il célèbre ses retrouvailles dans une petite roulotte, elle qui le connaît si bien dans ses affabulations et qui oscille entre surprotection et colère, lui qui l’accompagnera tendrement jusqu’à la mort ; Solveig – qui signifie le chemin du soleil – dont il tombe éperdument amoureux et qu’il retrouvera à l’approche de la mort, trop occupé par les affaires extraordinaires qu’il essaye de faire. Car il a de l’ambition et rêve de reconnaissance.

Après la mort de sa mère en un moment très émouvant où il lui fait croire qu’ils chevauchent ensemble dans la voie lactée, en route vers Saint-Pierre, après un saut dans le temps, on retrouve Peer Gynt loin de la Norvège, marchand d’esclaves à la tête d’une fructueuse affaire au Maroc. Comme toujours l’affaire tourne court et ses rencontres sont autant de mises à l’épreuve. Son partenaire le dévalise et le bateau plein de ses richesses sombre en mer, lors d’un retour qu’il souhaitait triomphal. Une série de péripéties s’en suivent. On le retrouve en Arabie où sa dernière conquête, Anitra, lui dérobe ses derniers biens puis en Egypte où il est sacré empereur des fous, dans un asile. Sur le vaisseau du retour au pays il subit encore toutes sortes d’inquiétudes par ses aventures, notamment avec un mystérieux fondeur de boutons-sorte d’alchimiste, avant de retrouver Solveig et de mourir entre ses mains : « Ton voyage est fini, Peer, tu as enfin compris le sens de la vie, c’est ici chez toi et non pas dans la vaine poursuite de tes rêves fous à travers le monde que réside le vrai bonheur. »

Dans une scénographie monumentale sur le thème de la fête foraine constituée de passerelles modulables manipulées à vue par les acteurs, toujours tous présents sur scène, ces échafaudages magnifiquement éclairés deviennent montagnes, forêts, navires et équipages. David Bobée conçoit lui-même ses dispositifs scéniques et élabore à partir de là, dramaturgie et théâtralité. Fondateur de la compagnie Rictus et metteur en scène depuis 1999 après des études de cinéma et de théâtre, il dirige depuis 2013 le Centre dramatique national de Normandie-Rouen. Il a mis en scène entre autre Lucrèce Borgia en 2014, puis La Vie est un Songe en 2017 en Tunisie et vient de monter un premier opéra, The Rake’s Progress de Stravinsky.

L’excellent travail qu’il propose à travers la fable et cette figure mythique qu’est Peer Gynt, pièce emblématique d’Ibsen, lui permet de poursuivre ses expérimentations même si les moyens et les plateaux ont changé d’échelle. Il mêle théâtre, danse, musiques, lumières et tout ce qui fait spectacle, avec brio et sensibilité, accompagné d’acteurs qui servent avec justesse ce monde fantasmé et poétique venu du grand nord scandinave. Et il renvoie à la question pour le moins troublante et qui nous concerne tous : qu’est-ce qu’être au monde?

Brigitte Rémer, le 9 février 2018

Avec Clémence Ardoin, Jérôme Bidaux, Pierre Cartonnet, Amira Chebli, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Thierry Mettetal, Grégori Miège, Marius Moguiba – dramaturgie Catherine Dewitt – assistante à la mise en scène Sophie Colleu – scénographie David Bobée et Aurélie Lemaignen – composition et interprétation musicale Butch McKoy – création lumière Stéphane Babi Aubert – création son Jean-Noël Françoise – costume Pascale Barré – construction de la structure du décor par les ateliers du Grand T, théâtre de Loire- Atlantique – toiles peintes par les ateliers de l’Opéra de Limoges – construction des éléments mobiles Richard Rewers

Du 25 janvier au 4 février 2018, Les Gémeaux Scène Nationale de Sceaux, 49, av Georges Clé­men­ceau – RER B : Bourg-la-Reine et 5 mn à pieds – tél. : 01 46 61 36 67 – Site : www.​lesgemeaux.​com – En tournée : les 8 et 9 février 2018 au Théâtre des Salins, Martigues – vendredi 16 février à L’Avant-Scène, Colombes – 21 et 22 février à la Scène Nationale 61, Flers – 8 et 9 mars au Carré Colonne, Saint-Médard-en-Jalles – 20 et 21 mars 2018 à La Passerelle, Saint-Brieuc – 19 avril aux Scènes du Golfe, Vannes.

 

Saïgon

© Jean-Louis Fernandez

Un spectacle de Caroline Guiela Nguyen, artiste associée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, présenté aux Ateliers Berthier, en français et en vietnamien, surtitré en français – Créé à la Comédie de Valence pour le Festival Ambivalence(s) et au Festival d’Avignon 2017 – Compagnie Les Hommes Approximatifs.

Paris 1996. Dans la grande salle d’un restaurant vietnamien, un homme, Antoine, a rendez-vous avec sa mère, Linh, vietnamienne, après une longue séparation. Très vite le ton monte. Une discussion-dispute s’engage mettant en lumière le fossé culturel qui les sépare. Dans cette salle, côté cour, un coin karaoké, côté jardin la cuisine, où s’affairent la chaleureuse Marie-Antoinette et la discrète Lam, sa nièce. On est chez les Viêt-Kiêu, les Vietnamiens de l’étranger, ici exilés en France.

Changement de lieu et de contexte : Saïgon 1956. Traces de la vie dans la capitale vietnamienne sous colonisation française, des couples se forment, des histoires se construisent. Avec la défaite des Français à Diên Biên Phu le temps s’accélère, les colons se voient contraints de quitter les lieux très vite, l’indépendance est proclamée. Sous nos yeux, plusieurs vietnamiennes espèrent partir. La dernière soirée vire au tragique, les couples se défont. Nous suivons le destin de Mai et Hao, et celui de Linh et Edouard. Tout le monde se ment pour justifier sa position. Hao, féru de chansons, part tenter sa chance en Europe, abandonnant la jeune Mai, très amoureuse, qui en perd sa raison de vivre. Edouard, un militaire grossier, repousse Linh, puis revient sur sa décision et l’épouse sans conviction, quand elle lui apprend qu’elle est enceinte. Louise, la femme du diplomate, s’égare, hystérique de devoir quitter ses privilèges. Marie-Antoinette cherche des nouvelles de son fils disparu. L’animosité monte entre Français et Vietnamiens, le comportement des Français n’est pas des plus glorieux. Racisme et violences circulent.

Dans le spectacle de Caroline Guiela Nguyen, les temps, les lieux et les langues se télescopent et s’interpénètrent comme des fondus-enchaînés. Le spectacle se construit par des aller-retour entre Paris en 1996 et les flash-back sur Saïgon en 1956, qui, en 1975, deviendra Hô-Chi-Minh-ville. Les revenants, ces visages perdus, apparaissent comme un flux et un reflux, à plusieurs reprises. Les chapitres se succèdent : Les Exilés, L’Absent, Le Retour. D’autres personnages émergent comme Cécile, hébergeuse pour le moins curieuse de Hao, les jeunes d’Hô-Chi-Minh-ville, insouciants et loin de toute nostalgie, quand Hao, quarante ans plus tard retourne visiter son pays et que ressurgit la mémoire, dans des visages d’une autre génération. La boucle se ferme quand à la fin Antoine demande des comptes à sa mère, Linh, au sujet de son père, et que nous découvrons qu’il était ce militaire français, si grossier ; quand Marie-Antoinette – après son grand chagrin dû à la confirmation de la mort de son fils en 1939, quand les Allemands avaient fait sauter l’usine d’armements de Bergerac où il travaillait – trouve l’énergie d’organiser une fête, le jour de l’anniversaire de ce fils absent. Les plaies sont vives, les émotions aussi.

Caroline Guiela Nguyen a préparé ce spectacle pendant plusieurs années, forte du constat de l’absence et du silence. A partir des récits entendus elle a écrit un livre, Saïgon, qui a servi de support à l’élaboration du spectacle, parle de destins brisés, d’exil, de rapports de force liés à la colonisation. Après des études en sociologie et en arts du spectacle, et après une formation en mise en scène à l’école du Théâtre national de Strasbourg, elle a créé sa Compagnie, Les Hommes Approximatifs, en 2009 et monté quelques grands classiques. En 2011 elle présente Elle brûle, variations à partir de Madame Bovary, spectacle qui a fait date. A partir de là, la Compagnie travaille sur ses propres récits, parle du monde d’aujourd’hui, des invisibles, des absents. Le chagrin en 2015, montrait les retrouvailles d’un frère, resté dans le village natal et d’une sœur qui a fait sa vie à Paris, après le décès de leur père, chacun revisitant le passé, les histoires et les liens qui les ont constitués. Mon grand amour, en 2016, entrecroisait trois histoires décentrées, dans trois villes.

Avec Saïgon, Caroline Guiela Nguyen montre la réalité de ce que fut la colonisation française en Indochine – dont l’appellation même d’Indochine traduit la vision occidentale de l’Asie du Sud-Est – qui n’a guère été traitée sur les scènes de théâtre et reste largement méconnue, même si Marguerite Duras est passée par là. Lancé en 1858, le processus d’invasion militaire française se prolongea jusqu’au début du XXe siècle, via les opérations militaires officieuses de pacification qui visaient à éliminer les derniers et nombreux îlots de résistances rurales et populaires. Caroline Guiela Nguyen propose avec finesse et intelligence un regard vietnamien sur l’Histoire, par le biais de destins individuels qui croisent la mémoire collective. Comme toujours elle privilégie l’écriture de plateau et crée une réelle dynamique collective, mêlant acteurs amateurs et professionnels, en l’occurence des acteurs français, viêt-kiêu et vietnamiens rencontrés à Hô-Chi-Minh-ville. La chronique qu’elle propose est remarquable. Elle fait théâtre de la souffrance, des larmes et de l’exil, avec une grande maîtrise. Une longue tournée s’annonce.

Brigitte Rémer, le 5 février 2018

Avec Caroline Arrouas, Dan Artus, Adeline Guillot, Thi Truc Ly Huynh, Hoàng Son Lê, Phú Hau Nguyen, My Chau Nguyen Thi, Pierric Plathier, Thi Thanh Thu Tô, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia – Ecriture Caroline Guiela Nguyen, avec l’ensemble de l’équipe artistique – mise en scène Caroline Guiela Nguyen – scénographie Alice Duchange – costumes Benjamin Moreau – lumières Jérémie Papin – création sonore et musicale Antoine Richard – composition Teddy Gauliat Pitois – traduction Duc Duy Nguyen, Thi Thanh Thu Tô.

Jusqu’au 10 février 2018 – Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès. 75017 – métro Porte de Clichy – tél. : 01 44 85 40 40 – site : www.theatre-odeon.fr

En tournée : du 21 au 23 février 2018 au CDN de Normandie-Rouen – du 6 au 9 mars 2018 au Théâtre Dijon Bourgogne-CDN – les 13 et 14 mars 2018 à La Comédie de Valence – du 4 au 7 avril 2018 au Théâtre de la Croix Rousse-Lyon – mars 2018 Festival Iberoamericano de Teatro de Bogotá, Colombie – du 13 au 15 avril 2018 à la Schaubühne, Berlin, Allemagne – les 25, 26 avril 2018 au CDN de Besançon – du 15 au 18 mai 2018 au Théâtre National Bretagne, Rennes – du 29 mai au 2 juin 2018 au Centre dramatique national de Tours – les 7 et 8 juin 2018 au Festival Theater Formen, Braunschweig, Allemagne – les 13 et 14 juin 2018 Poly Holland Festival, Amsterdam – juin 2018 Théatre de Pékin, Chine – juin 2018 Oriental Arts Centre de Shangai août 2018 Ingmar Bergman International Theater Festival, Stockholm, Suède – 21 22 septembre 2018 Hô-Chi-Minh-ville, Vietnam.

Kroum

© Anastasia Blur

Texte de Hanokh Levin, mise en scène et scénographie Jean Bellorini, avec la troupe du Théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg – spectacle en russe sous-titré en français.

Après un long séjour loin de chez lui, Kroum dit l’ectoplasme revient chez sa mère et retrouve son ancien quartier. Ses voisins sont aux fenêtres, persuadés de sa réussite, mais il n’en est rien. Il rentre bredouille, sans argent, sans travail ni métier, sans femme, sans le moindre petit cadeau. C’est une sorte d’anti-héros à la Peer Gynt. La pièce a une allure de fable du quotidien où la vie sans gloire s’écoule irrémédiablement, monocorde et figée, où le récit de parcours entrecroisés se décline sur un mode léger et cruel.

Autour de Kroum (Vitali Kovalenko) et de sa Mère (Marina Roslova), une galerie de portraits comme croqués au fusain, et des personnages qui passent tranquillement à côté de leur vie : il y a Tougati l’affligé (Dmitri Lyssenkov), le copain d’enfance souffreteux qui mourra avant la fin de la pièce mais qui épouse Doupa la godiche (Yulia Martchenko), copine de Trouda et qui rêve d’amour. Trouda la bougeotte, amourachée de Kroum (Vassilissa Alexéeva), et qui, lasse d’espérer, épouse Takhti le joyau, (Sergey Amossov), désarmant de lucidité et qu’elle n’aime pas. Shkitt le taciturne (Ivan Efremov), ami fidèle de Kroum, mutique, observe et ramasse les informations. Dulcé époux de Félicia (Vladimir Lissetski) et Félicia (Maria Kouznetsova), vieux couple usé qui s’asticote sur des broutilles, le docteur Schibeugen (Alexandr Luchin). Rien ne se passe dans cet immeuble frappé de léthargie, de paresse et de médiocrité, la vie comme elle va. Les femmes rêvent d’amour, Tougati de guérir, la mère de Kroum qu’il s’insère, et Kroum repousse indéfiniment les choses au lendemain. «Tu me connais, j’en veux toujours autant et j’en fais toujours aussi peu» dit-il à Tougati. La pièce s’achève sur la mort de sa mère et Kroum le velléitaire se dit prêt à reprendre en mains son destin, mais, comme toujours, « plus tard, plus tard… » Discrètement, côté jardin, un musicien commente l’action de son piano ou de son accordéon (Michalis Boliakis).

Hanokh Levin (1943-1999) rapporte ces chroniques du rien – la pièce est publiée en 1975 – avec un humour tendre, et noir. Il nomme les personnages en adossant une caractéristique à leur nom : Kroum l’ectoplasme, Trouda la bougeotte… Auteur et metteur en scène, il a écrit une cinquantaine de pièces et en a monté un bon nombre, à Tel-Aviv où il résidait. Ses comédies lui ouvrent la porte de la reconnaissance à partir des années soixante-dix, dont Yacobi et Leidental qui donne le coup d’envoi. Il croque les petites gens, dans leurs espaces de vie minimum où la gaité succède au désarroi, où l’attente sert de ciment, où se côtoient gravité et légèreté. François Rancillac avait monté la pièce en 2004, Krzysztof Warlikowski en 2005.

La scénographie de Jean Bellorini sert ici magnifiquement le propos : une façade d’immeuble permet de voir à l’intérieur de modestes logis aux couleurs vives, emboités les uns sur les autres, couleurs reprises dans les costumes acidulés de Macha Makeïeff qui rompent avec la vie en gris. La montée-descente des escaliers permet une fluidité entre le dedans et le dehors, et les apparitions-disparitions des personnages impriment un tempo vif et ludique à cet univers d’échec et de conformisme. Jean Bellorini s’est attelé à plusieurs reprises au théâtre russe et au travail avec des acteurs forgés à d’autres exigences que les nôtres. Il avait présenté en 2016 Le Suicidé de Nicolaï Erdman avec les acteurs du Berliner Ensemble, puis Les Frères Karamazov d’après le roman de Fédor Dostoïevski la même année à Avignon. C’est avec les grands interprètes du Théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg – fondé en 1756 et dirigé par Valéry Fokine – qu’il présente aujourd’hui l’humour grinçant de la pièce d’Hanokh Levin, figure majeure du théâtre israélien contemporain. Il l’avait créée à Saint-Pétersbourg en décembre dernier, elle est entrée au répertoire du Théâtre national Académique Pouchkine, dit Alexandrinski. L’association L’Art des Nations (ADN) fondée il y a trois ans par Patrick Sommier, ancien directeur de la MC93 Bobigny, remplit son rôle de go between en favorisant les échanges entre les structures françaises, russes, et chinoises. «  J’ai voulu la pièce comme une comédie italienne, à la Ettore Escola, où le cynisme devient joyeux… dit Jean Bellorini. Pari très réussi.

Brigitte Rémer, le 4 février 2018

Avec la troupe du Théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg : Vasilissa Alexéeva Trouda, la bougeotte – Dmitri Belov Bertoldo – Ivan Efremov Shkitt, le taciturne – Maria Kouznetsova Félicia – Vitali Kovalenko Kroum l’ectoplasme – Vladimir Lissetski Dulcé, époux de Félicia – Alexandr Luchin le docteur Schibeugen – Dmitri Lyssenkov Tougati, l’affligé – Sergey Mardar Takhti, le joyau – Yulia Martchenko Doupa, la godiche – Marina Roslova Mère de Kroum – Olessia Sokolova Tswitsa, la tourterelle – le musicien Michalis Boliakis. Collaboration artistique Mathieu Coblentz – assistanat à la mise en scène Macha Zonina (interprète) – scénographie Jean Bellorini assisté de Mikhaïl Koukouchkine – costumes Macha Makeïeff assistée d’Olga Ouskova – traduction russe Marc Sorsky – traduction française Laurence Sendrowicz.

Du 18 au 28 janvier 2018 – Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis, 59 Boulevard Jules Guesde. Saint-Denis. Métro : Basilique de Saint-Denis – Tél. : 01 48 13 70 00 – Site : www. theatregerardphilipe.com –

Dada Africa

Sophie Taeuber-Arp (1889 – 1943)  – Composition verticale-horizontale, 1918  – Tapisserie de laine, 81 x 117 x 0,3 cm Remagen, Arp Museum Bahnhof Rolandseck © Arp Museum Bahnhof Rolandseck / Photo Mick Vincenz 

Exposition sur les Sources et influences extra-occidentales, présentée à l’Orangerie, organisée par le Musée Rietberg de Zurich, la Berlinische Galerie de Berlin, les Musées d’Orsay et de l’Orangerie de Paris.

L’exposition propose un regard sur le mouvement Dada – né à Zurich en 1916 autour du Cabaret Voltaire fondé par Hugo Ball – sur l’avant-garde et le nouveau système de pensée qu’il élabore en réaction à la société industrielle, à la pensée bourgeoise, aux violences de la Grande Guerre. Les artistes Dada sont pacifistes, pour la plupart réfugiés en Suisse mais venant de toute l’Europe, ils élaborent des langages de subversion pour rompre avec l’ordre bourgeois. « Le but est de rappeler qu’il y a, au-delà de la guerre et des patries, des hommes indépendants qui vivent d’autres idéaux » dit Hugo Ball dans son Premier Manifeste. Plus tard, Jean Arp dira : « Nous cherchions un art élémentaire qui devait, pensions-nous, sauver les hommes de la folie furieuse de ces temps. »

La démarche des commissaires est ici de montrer l’appropriation par les dadaïstes, dans le sillage des cubistes, de formes de production artistique venant d’ailleurs, et de la recherche d’une fusion entre les arts. Cette lecture des influences extra-occidentales est construite en quatre séquences. Dada foyers, la première, couvre les années 1914/1917 et en arrière-plan évoque la guerre, montrant des images de tirailleurs sénégalais qui pourtant dansent, ou accroché au plafond, un mannequin prussien unijambiste portant un masque à gaz. Cette section parle des croisements qui ont lieu au Cabaret Voltaire, entre les artistes qui s’y regroupent, Tristan Tzara, Sophie Taeuber, Jean Arp, Hans Richter, Hannah Höch, Raoul Haussmann et d’autres. Vidéos, tableaux, de Francis Picabia (Portrait de Tristan Tzara), Picasso (La femme au peigne), Marcel Janco (Le Jeu de dés), statuettes, poèmes nègres et Note 6 sur l’art nègre de Tzara illustrent cette période.

Dada Galerie fait référence aux années 1915 à 1925 qui structure le mouvement autour d’une réflexion sur le sens rituel et social des objets d’art extra-occidentaux et d’écrits théoriques comme La Sculpture nègre de Carl Einstein. Les musées ethnographiques deviennent la source de l’inspiration Dada. Collectionneurs et marchands d’art commencent à s’intéresser au sujet, en particulier Paul Guillaume. Une première exposition, organisée en Suisse en 1917 à la Galerie Coray du nom d’un ardent collectionneur, permet le dialogue sans hiérarchie entre les œuvres africaines et des œuvres dadaïstes. Affiches, tracts et poèmes, typographie, textiles et bijoux, masques et marionnettes, collages et photomontages de journaux et documents, spectacles, univers littéraires et plastiques singuliers issus du mouvement se multiplient.

La séquence Dada Performance traduit le chahut et la confusion qui règnent dans les soirées du Cabaret Voltaire mêlant music-hall, arts du cirque, bruitages, danse cubiste, lectures phonétiques expérimentales, costumes extravagants etc. Les superbes Masques de Marcel Janco et ses costumes en carton, les Poupées de Emmy Hennings, la Danse de la sorcière de Mary Wigman, les textes de Tzara, de Paul-Albert Birot avec La Lune ou le livre des poèmes, ou de Blaise Cendrars avec Continent noir sont lus au cours de soirées mémorables.

Dada fusion suivi de Post-dada forme la dernière séquence de l’exposition avec les bijoux, broderies et tapisseries de Sophie Taeuber-Arp, avec ses élégantes marionnettes réalisées pour le spectacle Le Roi-Cerf qui réadapte un conte comique du XVIIIème et l’actualise sous couvert de la querelle entre les psychanalystes Freud et Jung, avec ses maquettes de costumes à la manière des petites Poupées Katsina hopi représentant les danseurs masqués du culte des ancêtres en Amérique du Nord, devenues objets de collection. L’énergie créatrice des dadaïstes s’exprime notamment avec Tristan Tzara qui retranscrit des poèmes Maori et écrit Vingt-cinq poèmes qu’il adosse aux gravures sur bois de Jean Arp ; avec les poèmes sonores de Hugo Ball comme Caravane, ou ceux de Raoul Haussmann, comme Bbbb qui déconstruisent la langue et s’accompagnent de percussions et musiques africaines ; avec les collages et assemblages et les superbes Poupées Dada en textile, cartons et perles de Hannah Höch s’inspirant de la statuaire Kmer : « Jusqu’à ce jour, j’ai tenté d’exprimer, avec ces techniques, mes pensées, mes critiques, mes sarcasmes, mais aussi le malheur et la beauté » dit-elle ; avec la puissance d’expression des dessins et collages de Jean Arp, de ses assemblages en bois flottés privilégiant les formes et les couleurs, ses recherches avec Sophie Taeuber qu’il qualifie de « recherche d’un art élémentaire, qui guérirait les hommes de la folie de l’époque, et d’un ordre nouveau qui rétablirait l’équilibre entre le ciel et l’enfer. » De nombreux objets mis en miroir sont au rendez-vous de l’exposition dans toutes leurs variations, ainsi que des masques africains et statuettes magiques de Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo et d’autres pays africains. La fin du parcours dadaïste présente aussi l’œuvre de deux artistes contemporains, Athi-Patra Ruga, de Johannesbourg, qui travaille sur la performance et l’identité et Otobong Nkanga, d’origine nigériane, qui interroge la notion de territoire.

Avec sa gaité provocatrice, le mouvement Dada sera court. Il s’éteint de manière imprécise au cours des années 20 et le Surréalisme prendra sur lui peu à peu le pas. « L’œil existe à l’état sauvage » dira André Breton, en 1928. Sans idées préconçues ni programme il fut « une force explosive qui lui a permis de s’épanouir dans toutes les directions » comme l’a dit Hans Richter, une sorte d’anti-art basé sur la transdisciplinarité et la reconnaissance, pour la première fois, de l’influence des arts premiers sur l’art occidental.

Brigitte Rémer, le 3 février 2018

Commissaires de l’exposition : Ralf Burmeister, Berlinische Galerie de Berlin – Michaela Oberhofer et Esther Tisa Francini, Musée Rietberg de Zurich – Cécile Debray et Cécile Girardeau, Musée de l’Orangerie de Paris. Le catalogue de l’exposition est édité en partenariat avec les Editions Hazan.

Jusqu’au 19 février 2018 – Musée de l’Orangerie/Jardin des Tuileries – Métro : Concorde – Site : musée-orangerie.fr

 

Hors pistes 2018

© Joana Hadjithomas & Khalil Joreige – The Lebanese Rocket Society

Un autre mouvement des images, Hors pistes 13ème édition, sur le thème La Nation et ses fictions, au Centre Georges Pompidou, Paris.

Vous descendez par le grand escalier au cœur du Forum -1  vers le centre de la Terre. Au sous-sol butinent de nombreux jeunes liés aux écoles d’art et d’architecture dans le monde et souffle un vent de liberté d’expression et d’inventivité. On pourrait y lire en filigrane, comme cinquante ans avant, Il est interdit d’interdire.

Vous vous promenez et croisez toutes sortes d’installations, de projections, de conversations, d’ateliers de jardinage et de performances. Vous observez et questionnez la philosophie de l’écologie et de l’environnement, les recherches en architecture et le milieu urbain, les commentaires alternatifs sur la Nation puisque tel est le thème de l’année, la géopolitique. Les herboristes côtoient les philosophes et les politiques, les urbanistes les artistes, tous s’inscrivent au rayon utopistes.

Chaque journée est rythmée par une Univers-Cité – concept inventé par Camille Louis, philosophe et dramaturge – proposant des classes alternatives. Une première section parle des Zone-Institutions/Exstitutions. On y développe les thèmes des origines de la Nation, de la reconquête de l’espace public, du bruissement de la parole. Le Jeu Méta-Nation, « œuvre collaborative et évolutive » est une petite fiction qui se passe en duo entre un/une meneur/meneuse et un/une candidat/candidate. L’Ambassade de la Méta-Nation décline ses Jardins et ses Anarchives, « consultables, augmentables, itinérantes et souvent fictionnelles dans cette temporalité et au-delà. » Notre place, rapproche l’urbain et le végétal, l’agora et la forêt.

Une seconde section intitulée Les Mots et les Actes-Inscriptions, Imaginations, Actions cherche des Chemins de traverses dans le cadre de la création sonore, propose des Lectures électriques faites à haute voix pour la découverte d’œuvres littéraires, à la manière d’une création radiophonique en direct. Elle permet aussi aux étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture du Quai Malaquais de réaliser un inventaire-fleuve des gestes d’hospitalité, sous l’intitulé Tout autour. Une œuvre commune. Ce poème-plaidoirie parle de l’accueil et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dans la même veine, une vidéo, Mesures compensatoires, résulte d’une enquête réalisée par quatre jeunes réalisateurs sur le terrain du Calaisis.

Une troisième section, qui a pour titre Les Temps-Calendrier Révolutionnaire, réfléchit à l’expérience du temps qui contredit l’accélération de la vie d’aujourd’hui. L’évocation de la naissance du calendrier révolutionnaire émise dans le Rapport fait à la Convention nationale dans la séance du 3 du second mois de la seconde année de la République Française, est un marqueur fort : « … Nous avons pensé que la Nation… En conséquence, nous avons rangé par ordre dans la colonne de chaque mois, les noms des vrais trésors de l’économie rurale. Les grains, les pâturages, les arbres, les racines, les fleurs, les fruits, les plantes, sont disposés dans le calendrier de manière que la place et le quantième que chaque production occupe, est précisément le temps et le jour où la nature nous en fait présent. »

Venant de nombreux points du monde, ce Hors pistes 2018, véritable espace de dialogue, permet la confrontation des regards sur le monde contemporain, et sur ce qui fonde aujourd’hui nos sociétés : le réel, les migrations, l’exil, l’hospitalité, le transnational, les villes, la mémoire, les identités, les utopies. De nombreux artistes participent à cette édition, de nombreux étudiants s’y impliquent. Tous, tentent de montrer, à travers les débats, les films, les lectures et leurs diverses propositions, Un autre mouvement des images, peut-être les Plis dont parlait Deleuze.

Brigitte Rémer, 31 janvier 2018

Sylvie Pras, responsable des cinémas, Département du développement culturel – Géraldine Gomez assistée de Doriane Foix, Camille Leprince et Vincent Raynaud programmation Hors Pistes – Camille Louis artiste associée – Catherine Quiriet administration – Baptiste Coutureau régisseur film – Frédérique Mirotchnikoff coordination audiovisuelle/DDC – Yann Bréheret chargé de production audiovisuelle Hugues Fournier-Montgieux et les projectionnistes et agents d’accueil régie des salles – Yvon Figueras chef du service des manifestations – Laurence Lebris architecte scénographe – Malika Noui chargée de production – Francis Boisnard régisseur d’espace – Arnaud Jung éclairagiste – Alexandre Lebeugle, Kim Lévy, Ivan Gariel service audiovisuel.

Du 19 janvier au 4 février 2018 – Centre Georges Pompidou, Paris. Forum – 1. Métro : Hôtel de Ville, Châtelet, Les Halles, Rambuteau. Site : centrepompidou.fr – Tél. : 01 44 78 12 33 – Hors pistes est en entrée libre.

Le Syndicat des algues brunes

Un roman-photo imaginé et écrit par Amélie Laval – photographies de Cécile Rémy – publié aux éditions FLBLB.

La sortie de ce roman-photo tant attendu, lié à la complicité d’Amélie Laval et Cécile Rémy est annoncée pour Février. Un titre mystérieux, Le Syndicat des algues brunes, une intrigue qui l’est tout autant, un bel ouvrage plein de suspens. C’est un récit d’anticipation sur une Terre où les rapports de force ont changé, où les métamorphoses intempestives côtoient l’art martial, et où les animaux se révèlent plus bavards que prévu.

C’est un roman-photo sans trucage ni intervention de photoshop. Les costumes sont en peau de vison du grand couturier Emmaüs et les effets spéciaux n’ont rien à envier aux premiers Star Wars. Un talent d’inventivité et le système D comme Débrouillardise en sont les principaux moyens techniques ! En témoignent des séances photo dans les calanques marseillaises au mois d’avril, en plein mistral glacé ou au fond d’une eau à 14 degrés ; ou encore les sessions de petites mains en confection et couture des costumes, jusqu’au milieu de la nuit.

Le Syndicat des algues brunes a nécessité deux années de travail et six mois de repérage, à Marseille essentiellement, lieu principal de tournage, sans compter les nombreuses semaines de shooting photos. C’est une grande aventure collective qui a mobilisé de nombreux figurants, acteurs, amis, copains, amis d’amis, voisins, qui ont soutenu et aidé la jeune et belle entreprise qui aboutit aujourd’hui à un grand livre format A4 de 240 pages couleur. Présenté en avant première au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) de Marseille en janvier dernier, puis pour séances de dédicaces au Festival de la BD d’Angoulême. Succès déjà assuré. Courez réserver votre volume !

https://www.helloasso.com/associations/boucherie/collectes/soutenez-le-syndicat-des-algues-brunes

 

Et Dieu ne pesait pas lourd

© Pascal Gely

Texte Dieudonné Niangouna, mise en scène et interprétation Frédéric Fisbach

Un homme seul, en colère, sur un grand plateau de théâtre. C’est Anton. Comme Sisyphe, il pousse son rocher. Il philosophe, règle ses comptes et brouille les pistes. Il se pense acteur. Son raisonnement est volatile, comme sa pensée. Des bribes nous parviennent de l’homme aux prises avec l’humanité, en lutte avec lui-même. « Chacun dans sa solitude est un roc » dit-il.

Ce bavard décalé, quasi retiré du monde, par choix, ou par obligation, a le verbe haut. Il lance une adresse au public avec véhémence, organise son espace, et déplace ce qui pourrait ressembler à une cage de but en football crachant une lumière qui contraste avec la pénombre dans laquelle il se trouve. Est-il ballon, gardien de but, spectateur, arbitre, ou simple joueur ? Contre qui ce match, le monde qui danse sur une jambe, la terre bleue comme une orange, comme le dit Eluard ? Au fil d’une conversation débridée et plutôt abstraite il convoque des rencontres et provoque Dieu, les services secrets américains, des geôliers djihadistes, la banlieue, les totalitarismes, la mondialisation, et tout ce qui ne tourne pas rond. « Je cherche à vous donner des raisons de ne pas me tuer… »

Ce texte, Et Dieu ne pesait pas lourd, est né de la rencontre entre Dieudonné Niangouna, auteur, acteur et metteur en scène travaillant entre le Congo Brazzaville son pays et la France, et Frédéric Fisbach, concepteur de spectacles, ici acteur et metteur en scène. Il dit leur colère partagée du monde d’aujourd’hui, avec insolence, sarcasme et provocation. Il est comme la lave sortant du volcan. « On ne peut pas parler de démocratie avec vous. Je dis ce que je pense »

Le texte est rugueux, le regard de Dieudonné Niangouna sur le monde ressemble à un dessin à la Charlie. Frédéric Fisbach dans sa rencontre avec l’auteur parle de ce qui l’a séduit : la matière de l’écriture. Il porte avec vérité et passion un texte qui parle de la dérive du monde, dans lequel Dieu ne pèse vraiment pas lourd.

Brigitte Rémer, le 30 janvier 2018

Dramaturgie Charlotte Farcet – collaboration artistique Madalina Constantin – scénographie Frédéric Fisbach et Kelig Le Bars – lumière Kelig Le Bars – son John Kaced – vidéo John Kaced et Etienne Dusard.

Du jeudi 11 au dimanche 28 janvier – MC93-Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny – Métro ligne 5 – Station Bobigny Pablo Picasso. En tournée : du 4 au 6 avril 2018, Comédie de Saint-Etienne, CDN – Automne 2018 Théâtre Joliette-Minoterie, Marseille – Automne 2018 Théâtre de l’Union, CDN du Limousin.